F. Amsler (u.a. Hrsg.): L’apprentissage du pluralisme religieux

Cover
Titel
L’apprentissage du pluralisme religieux. Le cas genevois au XIXe siècle.


Herausgeber
Amsler, Frédéric; Sarah, Scholl
Reihe
Histoire et Société 58
Erschienen
Genève 2013: Labor et fides
Anzahl Seiten
288 S.
Preis
URL
Rezensiert für infoclio.ch und H-Soz-Kult von:
Cyrille Fauchère

Les rapports interconfessionnels sont une réalité qui regarde la Suisse dès les premières années du XVIe siècle. Le premier article de Bertrand Forclaz met en lumière ce qu’il appelle une «cohabitation de longue durée» et en quatre axes de lecture, il trace les contours de ce pluralisme religieux. Après un décryptage plus événementiel de la période s’étendant de la Réforme à la seconde guerre de Villmergen, il observe les zones de frontières, les mariages mixtes et les conversions et enfin les rapprochements qui s’opèrent entre catholiques et protestants dans des cas particuliers voire inattendus.

Le rapprochement s’accélérant au XIXe siècle, il devient coexistence et amène son lot de tensions. Michel Oris, Gilbert Ritschard et Olivier Perroux s’appuient sur les recensements de population et proposent une nouvelle méthode statistique: l’analyse statistique implicative. Il s’agit de tracer, pour la période s’étendant de 1813 à 1847, les contours de «tendances cachées et les variables qui polarisent les structures socioéconomiques». C’est alors que les tensions entre les deux communautés religieuses n’apparaissent pas sous l’angle de l’idéologie, mais plutôt sous celui du rapport entre le groupe confessionnel et/ou le statut social ainsi que l’appartenance à un groupe socioprofessionnel.

Dans ce climat de tensions, les radicaux genevois vont jouer un rôle capital sur le futur des relations interconfessionnelles. Véronique Mettral rappelle que la cité de Calvin connaissait depuis le XVIe siècle une théocratie qui a permis au culte protestant de conserver son statut de religion dominante jusqu’aux premières années du XXe siècle. Cette situation allait cependant être bouleversée par la Constitution de 1847 qui, sous l’impulsion de James Fazy, introduisit la liberté confessionnelle. Ce pluralisme religieux «révolutionnaire» contribue à entretenir le clivage entre catho¬liques et protestants et les tensions toujours vives accélèreront la chute de James Fazy, instaurateur d’un débat pour lequel la population n’était pas encore mûr.

Les tensions habitent également l’univers scolaire, car l’école genevoise est un lieu où s’expérimente en particulier le pluralisme religieux. Rita Hofstetter propose une lecture en cinq périodes durant lesquels les deux religions principales ne seront pas toujours traitées sur un pied d’égalité. Aux tensions confessionnelles qui marquent la première période, se rajoutent des tensions politiques, puis un processus de laïcisation se met en route et les écoles étatiques prennent doucement l’ascendant sur les écoles religieuses. La quatrième période voit une laïcisation active de l’école qui cherche à évincer progressivement le religieux de son enceinte, mais non sans tensions. Enfin cette école sécularisée sera pacifiée grâce à son rôle utilitaire d’instruction pour tous dans une Genève qui explose démographiquement au tournant des XIXe et XXe siècles.

Les tensions ne s’affirment pas uniquement entre catholiques et protestants, mais aussi dans l’univers catholique luimême tel que démontré par Sarah Scholl. En effet, parmi ses adhérents une mouvance plus libérale voit le jour et commence à manifester un anticléricalisme notoire. Ces catholiques libéraux cherchent à extraire le religieux de la vie quotidienne pensant que c’est le seul moyen d’entrer complètement dans une logique pluraliste. Cette vision les range du côté des partisans du Kulturkampf et la rupture avec les catholiques traditionnels est telle que Genève n’assiste non pas à la réforme d’une Eglise, mais bel et bien à la création d’une nouvelle Eglise. Celleci, plus démocratique, favorise un rapprochement avec les protestants mais cristallise la rupture avec l’Eglise catholique. Cet échec de l’intégration sociale par le religion servira de base aux défenseurs de la séparation de l’Eglise et de l’Etat.

La seconde partie de l’ouvrage s’ouvre sur une présentation de l’abbé Vuarin, dont l’histoire se confond volontiers avec celle de la défense du catholicisme. Bernard Hodel démontre, sources à l’appui, que les premières historiographies sont souvent partiales. La tâche déjà ardue de l’historien est rendue encore plus difficile par la dispersion du fonds Vuarin. Néanmoins certains éléments réapparaissent en fouillant des archives publiques, souvent dépositaires d’anciennes archives ecclésiastiques. La production littéraire de ce prêtre est variée: elle regroupe des brochures dont le thème principal est la défense de la paroisse de Genève et des catholiques en général, des textes qui attaquent le protestantisme genevois ou encore des ouvrages d’édification. Elle est également abondante et le ton demeure souvent polémique grâce à une écriture très engagée. L’article se conclut sur une liste des différents papiers et brochures écrites par l’abbé Vuarin.

Francis Python analyse le personnage de l’abbé Etienne Marilley, prêtre fribourgeois qui rejoint l’abbé Vuarin comme vicaire à Genève en 1839. Durant ce séjour à la paroisse de Genève, il nous livre un compterendu de la manière dont il envisage sa mission dans un canton confessionnellement mixte. Ses premières contributions dans les Mélanges littéraires tentent d’appréhender les changements de relation entre catholiques et protestants à la fin du XVIIIe siècle. Puis dans les publications suivantes il développe les arguments favorables à l’implantation des catho¬liques dans un pays réformé, en y intégrant des vues providentielles. A la mort du curé Vuarin, il sera proposé comme curé de Genève, mais le gouvernement genevois ne l’accepte pas. Son ordination comme évêque ensuite va finir de cristalliser les tensions avec le gouvernement genevois et il finira par être arrêté, puis exilé.

L’article de Frédéric Amsler capte les regards protestants sur les catholiques genevois. Il ne se limite pas à une opposition frontale entre ces deux confessions puisqu’il insère dans ce couple l’élément Genève qui va conditionner les regards de trois personnalités. Antoine Carteret, Auguste Bouvier et Louis Micheli, trois personnalités protestantes, peuvent se classer en deux premiers groupes: celui des méfiants, les deux premiers, et celui de l’«attachant», le dernier. Cette première catégorisation n’empêche pas de constater cette pluralité des regards protestants sur les catholiques, pluralité qui sera amenée à évoluer. L’opposition confessionnelle peut prendre plus ou moins de vigueur si l’on est dans un contexte politique ou non. Ainsi un Carteret s’inscrit dans une opposition de type politique, alors que Bouvier sera plutôt un opposant théologique. Le premier voit un danger pour l’Etat alors que le second se bat sur les idées religieuses. Louis Micheli quant à lui prend conscience du caractère évolutif du rapport de minorité des groupes confessionnels, ceuxci étant amenés à se modifier. Son quotidien l’a ainsi amené à fréquenter bon nombre de catholiques et à les considérer sous leur personnalité et leurs compétences.

La méfiance n’a pas été la seule réaction dans les milieux protestants à l’égard des catholiques. Certaines familles, comme les Naville, vielle famille bourgeoise de Genève, ont porté un regard que l’on peut qualifier aujourd’hui d’œcuménique. Gabriel Aubert s’arrête sur trois textes relatant tantôt un voyage à Rome de Georges Constantin Naville, le grandpère, tantôt les préoccupations intellectuelles du pédagogue François Marc Louis Naville, le père, ou encore le souci d’unité chrétienne du fils Ernest Naville. Ce dernier traduit une vraie sensibilité œcuménique, qui trouve ses racines dans la sensibilité de ses aïeux. Le combat s’est ainsi déplacé d’une opposition frontale entre les deux confessions à un combat désireux de favoriser l’unité des religions chrétiennes, ainsi le rapprochement entre catholiques et protestants.

En marge des protestants et des catholiques se rencontrent les Vieuxcatholiques qui constituent à la fois une église catholique nationale, donc reconnue par Genève, et également une église en rupture avec l’ultramontanisme et Rome. Angela Berlis suit les pérégrination de Charles Jean Marie Loyson, prédicateur de talent et défenseur du catholicisme libéral. Son «œcuménisme» le pousse à réclamer une parfaite égalité entre le catholicisme, le protestantisme et le judaïsme, mais ces positions le brouillent avec sa hiérarchie et il est frappé «d’une interdiction d’expression et de publication». [Le cahier qui contient les pa¬ges 192−225 manque.]

Les années qui inaugurèrent le XIXe siècle semblaient s’ouvrir sur le compromis global de l’identité chrétienne de la Suisse, avec en arrièreplan la recherche de la paix confessionnelle. Cependant, les années qui suivirent furent les témoins d’épisodes qui divisèrent les cantons et qui marquèrent les esprits par leur brutalité. Les concordats qui servent d’habitude à régler les cas religieux se transforment en textes d’alliance défensive, ce qui a pu exaspérer les cantons au point de générer des tensions. Les articles de Baden, qui tendent à nationaliser la religion, finissent de dessiner la fracture qui sépare les cantons catholiques des cantons protestants et conduisent à la guerre du Sonderbund. Irène Hermann séquence de manière fine les stratégies à la fois successives et complémentaires du pluralisme religieux: «le légalisme, la violence et la diversion». Ces stratégies de l’Etat fédéral servent à rechercher une forme d’unité pour la Suisse moderne naissante, en limitant les identités communales et en ciblant d’autres éléments exogènes qui concentrent les nouvelles méfiances.

Un des garants du pluralisme religieux est certainement la laïcisation de la société. Valentine Zuber considère cette émergence de la laïcité sous deux aspects: tout d’abord une approche historique d’un phénomène qui se développe et s’ancre en France mais également ses équivalents ailleurs dans le monde. Au travers de ce processus de laïcisation, nous percevons que le pluralisme religieux a revêtu deux formes distinctes. D’une part, il s’est agi de faire garantir à l’Etat l’existence de plusieurs religions reconnues ou dites «traditionnelles» et d’autre part à partir de 1905 l’Etat s’est désengagé de la gestion des cultes pour se concentrer sur son rôle de garant de la liberté religieuse. Cette dernière doit affronter de nouveaux défis avec l’émergence de «nouveaux types d’expressions religieuses» et son rôle évolue en garant du pluralisme.

Zitierweise:
Cyrille Fauchère: Rezension zu: Frédéric Amsler/Sarah Scholl (dir.), L’apprentissage du pluralisme religieux. Le cas genevois au XIXe siècle (= Histoire et Société 58), Genève, Labor et fides, 2013. Zuerst erschienen in: Schweizerische Zeitschrift für Religions und Kulturgeschichte, Vol. 109, 2015, S. 448-450.

Redaktion
Beiträger
Zuerst veröffentlicht in
Weitere Informationen
Klassifikation
Region(en)
Mehr zum Buch
Inhalte und Rezensionen
Verfügbarkeit